Joris, le toucher qui pose. Médiation corporelle en Institut Médico-Educatif

L’IME propose un accompagnement éducatif, pédagogique, et des soins adaptés à des enfants et adolescents présentant une déficience intellectuelle avec ou sans troubles associés se traduisant par des difficultés cognitives, d’apprentissage, de communication, psychologiques et psychiques et qui ne peuvent être maintenus durablement ou temporairement dans les dispositifs traditionnels.

J’y interviens durant 6 mois en ateliers collectifs.

Retour sur ce travail auprès de ces enfants atypiques à travers une vignette clinique.

Joris

L’IME propose un accompagnement éducatif, pédagogique, et des soins adaptés à des enfants et adolescents présentant une déficience intellectuelle avec ou sans troubles associés se traduisant par des difficultés cognitives, d’apprentissage, de communication, psychologiques et psychiques et qui ne peuvent être maintenus durablement ou temporairement dans les dispositifs traditionnels.



J’y interviens durant 6 mois en ateliers collectifs.



Retour sur ce travail auprès de ces enfants atypiques à travers une vignette clinique.

Joris a 11 ans. Plutôt petit, tout fin, Joris est de ces enfants que l’on dirait ayant des « troubles du comportement », « hyperactif ». Les multiples tentatives de catégorisation de ces enfants m’ont toujours questionnée dans mon travail d’éducatrice, et continuent aujourd’hui de m’interroger sur l’intrication d’un contexte sociétal et d’une tentative de définition toujours très comportementale.

Au-delà de leurs « troubles », visibles et donc gênants, quid de cette pesante part de responsabilité que nous -les Institutions- leur mettons à charge ? : « L’instabilité de l’enfant, quelles que soient ses déclinaisons théoriques actuelles et ses dénominations plurielles, frappe, au fond et comme par contagion donc, par ce que j’appelerais « l’instabilité » de nos regards […] Il est peut-être autant d’instabilité que de sujets instables, et nous parlons – sous le label « ADHD » ou « hyperactif » – d’enfants souvent très divers quant à leurs fonctionnements intrapsychiques et intersubjectifs bien que présentant de fait à la surface des conduites manifestes, les mêmes et bruyantes lignes comportementales et symptomatiques » 1 .

Parenthèse faite de ce débat, voici un morceau d’histoire de Joris pour lui-même, dans cette rencontre.

 

Dix ateliers avec Joris, et dans le fil de ces ateliers, quelque chose s’est passé. Quelque chose d’une re-connexion pour lui. Joris s’agite dans tous les sens, ne veut pas venir, souffle, me regarde, vient vers moi, repart, prend différents objets dans la salle, les met par terre tout en me regardant du coin de l’œil.

Il s’agite en tous sens mais me regarde toujours. Sa gestuelle est vive mais maitrisée, il y a là un petit corps explosif mais qui ne lâche rien. Joris voit tout, sent, perçoit, observe. De façon accrue, dans un état d’hypervigilance constant. Le travail de mise en mouvement en miroir, de respiration, ne permet pas de tenir : ce n’est pas un support suffisant de passage vers l’éprouvé. Pour Joris, sentir son corps, seul, c’est très compliqué. Et à la fois, on peut faire l’hypothèse que Joris, dans son état d’hypervigilance « sent » un tas d’informations internes et externes comme un flux permanent, dont il ne peut soudainement faire le tri. 

 

Alors le travail s’est porté davantage sur la limitation et la contenance : « Il s’agit de préciser la zone d’échange, là où l’on sort de soi pour rencontrer l’autre, là où on le reçoit. L’entité n’est ni une forteresse ni une passoire » 2 .

Allongé au sol, en invitant Joris à sentir toutes les zones d’appuis sur le matelas, je le recouvre d’une grande couverture lestée que je déploie doucement des pieds aux épaules. Tout le corps de Joris s’étend.

 

Le temps de massage commence : ses yeux se ferment, il est dans une écoute absolue de ce qui se passe. Il sourit. Je lui montre différentes balles sensorielles, de différentes couleurs, formes et textures. Joris aime les manipuler, du bout des doigts, en les approchant de sa joue. En faisant rouler une balle, je dessine le contour de son corps, et lui parle : les pieds, les genoux, les mains. Arrivée aux

mains, Joris suit la balle sur chaque doigt, l’un après l’autre s’élevant légèrement à mon approche, comme pour ne rien oublier du corps.

 

« S’éprouver comme un tout cohérent, articulé, contenu par une peau, unifié dans des coordinations, appuyé sur des os solides, peut être un moyen pour ancrer le psychisme dans la réalité du corps » 3 .

 

On raconte des histoires en massant, on imagine, on rêve, on laisse place à un imaginaire commun fait de tigres, de pluie, d’ours, de pétrissage, de tapotements, d’effleurages, de rires. Nous jouons ensemble, et là se tisse un autre espace de rencontre « parce que le jeu existe en présence d’un autre qui y prête toute son attention (même sans le comprendre parfois), parce que cet autre, le thérapeute -par son écoute, ses mots, son désir de partager l’illusion du jeu-, lui donne un sens, le jeu devient moteur du processus thérapeutique. Il devient langage » 4 . Joris à son tour raconte les histoires et son regard s’illumine. D’un geste appliqué, il donne le massage à l’autre, s’assure que tout va bien et nomme les ressentis par lui-même éprouvés : « ça la pluie ça chatouille », « ça le soleil ça réchauffe, c’est bien ».

 

Joris tiendra aux rituels des ateliers, qu’il aime à rappeler si j’en oublie un : placer les matelas, les couvertures, sonner le bol pour marquer le début de la séance. Les dernières séances, plus d’agitation : Joris rentre calmement, effectuant les gestes rituels de la mise en place de l’atelier et s’assurant que tout soit là : le cadre sécurisant était intégré, plus nécessaire de s’agiter.

 

Finalement Joris ne veut pas que les séances s’arrêtent. Le massage lui a donné un support pour refaire appui, re-sentir. Arrêter son agitation par la présence du toucher, contenir son corps et lui redessiner une forme verbalisable, voire même jouable. Le toucher massage a été canalisateur, ce flux d’informations qui le traverse sans cesse, permettant à Joris, de se percevoir ensemble, lié et de permettre à cet ensemble de pouvoir s’arrêter, contenir et trier.

 

1 JOLY Fabien, L’hyperactivité en débat, ERES, 2005, pp. 15-19

2 LESAGE Benoît, « Jalons pour une pratique psychocorporelle. Structures, étayage, mouvement et relation », ERES, 2012, pp. 37-49

3 LESAGE Benoît, « Jalons pour une pratique psychocorporelle. Structures, étayage, mouvement et relation », ERES, 2012, pp. 37-49

4 POTEL Catherine, Corps brûlant, corps adolescent – Des thérapies à médiations corporelles pour les adolescents ? Ed. Erès, 2006, p. 34

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  1. Un commentateur WordPress

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